samedi 16 août 2008
Biblio-fictions
Objets autant spirituels que matériels, les livres font aussi d’excellents sujets de romans.
par Martine Desjardins
publié dans L'actualité du 1er septembre 2008
Cliquez ici pour lire des extraits de ces romans.
Malgré les rumeurs grandement exagérées de sa mort, le livre imprimé résiste vaillamment aux assauts du numérique. Mais pour combien de temps encore ? Le papier électronique est maintenant assez perfectionné pour offrir des heures de lecture en tout confort sur des appareils faciles à utiliser. De la taille d’un livre de poche mais deux fois plus légers, le Cybook européen ou le Kindle — lancé récemment par la librairie en ligne Amazon — sont de véritables bibliothèques portatives pouvant contenir de 200 à 10 000 titres !
Devant cette diversité technologique, le livre semble ressentir un malaise identitaire, qui se traduit par un certain repli sur soi. Ils sont maintenant nombreux les romans dans la même veine que Le nom de la rose, d’Umberto Eco, ou Si par une nuit d’hiver un voyageur, d’Italo Calvino, qui tournent autour des livres. Les biblio-fictions, comme Le club Dumas, d’Arturo Perez-Reverte, L’ombre du vent, de Carlos Ruiz Zafón, La règle de quatre, d’Ian Caldwell et Dustin Thomason, L’historienne et Drakula, d’Elizabeth Kostova, Le treizième conte, de Diane Setterfield, sont d’ailleurs en voie de constituer un genre à part, avec leurs thèmes de prédilection. Parmi ceux-ci, citons la bouquinerie, la bibliothèque secrète, l’auteur oublié, le manuscrit retrouvé, le livre maudit, l’édition rare, l’exemplaire unique, la page manquante — autant de pièces d’insolubles puzzles littéraires.
Les auteurs de biblio-fiction, grands nostalgiques du vélin et du maroquin, présentent tous les symptômes de la bibliomanie et même de la bibliolâtrie. « Et si la forme physique du livre était porteuse d’une révélation, d’une vision philosophique du cosmos ? d’une conception de l’homme et de sa place dans l’univers ? » avance Sylvie Fayet-Scribe. Dans son premier roman, La table des matières, elle lance une conservatrice de musée sur les traces d’une gravure arrachée aux pages de l’encyclopédie de sainte Hildegarde de Bingen. Cette enquête, qui met en scène à la fois des trafiquants de manuscrits anciens à la Bibliothèque nationale de France et les responsables du meurtre d’une bibliothécaire américaine, est un prétexte à peine déguisé pour relater l’histoire de la documentation et de ses instruments : l’ordre alphabétique, la chronologie, l’index, la bibliographie, la table des matières... Sylvie Fayet-Scribe ne néglige pas pour autant les défis que pose la conception des moteurs de recherche destinés à la Toile et fait dire à l’un de ses personnages : « Il faut apprendre à tous les outils de la recherche documentaire. Son fonctionnement n’est autre que celui de notre société à venir. »
On peut retracer les origines de la biblio-fiction au chapitre sept de Pantagruel, dans lequel Rabelais dressait le répertoire de la librairie de Saint-Victor, avec 150 titres loufoques comme Les aises de la vie monachale ou La profiterolle des indulgences. Mais c’est l’écrivain argentin Jorge Luis Borges qui a véritablement jeté les bases du genre avec « La bibliothèque de Babel », et surtout « Le livre de sable », nouvelle écrite en 1975 où le narrateur entre en possession d’un volume au nombre infini de pages. Si quelqu’un mérite le titre d’héritier de ces deux précurseurs, c’est bien le Canadien Thomas Wharton, qui ne cesse de réinventer le livre avec une puissance d’imagination éblouissante. Son dernier ouvrage, Logogryphe, est plus qu’une simple bibliographie de livres imaginaires : c’est l’édification de toute une mythologie littéraire, où les livres deviennent des êtres merveilleux ou monstrueux, capables de déverser leur contenu comme une armoire trop pleine, de réordonner phrases et paragraphes quand on a le dos tourné, d’absorber ce qui les entoure comme un trou noir. Livres-îles désertes où les lecteurs sont naufragés, romans atlantidéens que l’on parcourt à la nage, ouvrages pétrifiés d’une bibliopole en ruine servent de points de départ à des nouvelles où l’on voudrait se perdre.
Dans les biblio-fictions, les livres sentent toujours un peu le vieux grimoire. Celui dont parle La fin des mystères, de Scarlett Thomas, a la réputation de causer la mort de quiconque le lit. En fait, il transporte les consciences dans un univers métaphorique si captivant qu’elles en oublient de réintégrer leur corps. Cet univers est une expérience de pensée — un modèle comme en construisent les spécialistes de la physique relativiste ou quantique pour expliquer certains paradoxes (les trains filant à la vitesse de la lumière d’Einstein, par exemple). L’héroïne du roman s’y rend afin de remonter jusqu’aux origines de la conscience. « Il a dû y avoir un instant précis où la première étincelle de conscience est apparue », dit-elle, conjecturant que le miracle qui s’est produit pour les premiers animaux pourrait se reproduire, pourquoi pas, dans le cas des livres. Si cela s’avère, ces derniers ne sont pas près de devenir obsolètes.
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