lundi 18 juin 2007

La génèse de La Tables des Matières

Ayant formé et enseigné aux futurs documentalistes et indexeurs du Net pendant 12 ans à la Sorbonne, cela m’a amené à réfléchir sur la manière dont l’information est classée avant l’informatisation de l’écrit et maintenant sur le web, j’ai tenté de dresser une sorte de « géographie de l’accès » à l’information : Tout d’abord par une chronologie générale parue sur le web en 1997 (Chronologie des supports, des dispositifs spatiaux, des outils de repérage de l’information), puis par un travail d’Habilitation à Diriger des Recherches soutenue en 1998 à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (cf. Histoire de la documentation en France 1895-1937 parue en 2000 aux éditions du Cnrs), enfin par ce roman La Table des Matières édité aux éditions Panama, dirigées par Jacques Binsztok (l’éditeur au Seuil du Monde de Sophie de Jostein Gaarder et du Théorème du Perroquet de Denis Guedj ).
La Table des Matières est une saga historique, du 12e au 21e siècle, qui emprunte la forme du polar pour faire découvrir l’histoire des créateurs et des créatrices de l’accès à l’information.
Au-delà de l’enquête policière - par moment parodiée - le lecteur est amené à découvrir des outils d’accès à l’information et des attitudes cognitives de recherche.
De la classification dans une vision analogique du monde des sciences naturelles dans l’encyclopédie d’Hildegarde de Bingen au 12e siècle, en passant par la table des matières de Pierre de la Ramée au 16e siècle, bijou de l’esprit déductif, en continuant par l’ordre alphabétique imposé des dictionnaires au 17e siècle ; l’accès est poussé avec le jeu abductif des cartes à jouer/fiches de bibliothèque vers l’élaboration des grands catalogues et bibliographies universelles au 18e siècle. Et comme le créateur de la carte à jouer devenu fiche est inconnu, j’ai inventé un personnage, le libertin Alexis Wagnières.
On aboutit à la fin du 19e siècle à « l’internet de papier » inventé en Belgique par Paul Otlet qui étend encore l’accès en créant des millions de fiches pour un catalogue et une classification mondiale francophone (la CDU) qui rend compte d’une indexation internationale de la production intellectuelle de la planète. La fiche alliée à la classification permet de choisir par abduction (et/ou/sauf) entre les mots-clés.
Enfin, tous ces outils intellectuels et leurs supports se massifient au 20e siècle, pendant que les attitudes de recherche perdurent et se joignent aux nouvelles sur Internet.
Pour mener son enquête, l’héroïne du roman, Laurette Lerbier, , se laisse guider par les évènements comme les hommes et les femmes du 21e siècle qui se dirigent de plus en plus par abduction et hasard - concept nommé joliment par l’expression « sérendipité » issue de l’anglais – grâce aux nouveaux « robots de recherche » circulant sur Internet.
Toutefois, il est probable que nous ne soyons pas au bout du cycle de l’invention des outils correspondants aux attitudes abductives. Car cette histoire s’exprime sur un temps très long, et les outils traditionnels installant des ordres alphabétiques, analogiques ou déductifs ne sont pas dépassés actuellement. Les classifications restent toujours nécessaires. De plus, les travaux actuels sur les cartes sémantiques essaient de déterminer la nature des liens entre deux mots-clés. Dans le roman, on voit un personnage secondaire, Martine Lartin, construire une carte sémantique.
Pour mieux saisir de manière romanesque ces hommes et femmes du passé, de chair et de sang, familiers de ces inventions, j’ai choisi la métaphore du jardin, peut-être inattendue. Un chercheur s’oriente avec un outil d’information, comme un promeneur dans un jardin, au sein des allées, des carrefours et des labyrinthes du savoir. Les jardins, miroirs de nos ordres et désordres, permettent de mieux donner l’image spatiale et évolutive, car vivante de nos manières anciennes et présentes d’appréhender l’accès. Je regrette à ce propos que les images de jardin que j’avais dessinées pour ce roman n’aient pas pu être intégrées au texte édité. Dans ces « microcosmes verts », loin du « noir citadin » souvent habituel à l’atmosphère du polar, le lecteur est mis dans la position du chercheur d’informations, d’indices, tout comme Laurette Lerbier, la jeune bibliothécaire du roman, l’est parfois au fur et à mesure de l’avancement de son enquête.
Laurette Lerbier est une jeune femme féministe. Elle explore peu à peu une culture féminine, féministe et chrétienne multiséculaire à travers l’ordre des vierges. Ce dernier appartient à une réalité historique largement oubliée : Sainte Geneviève et Jeanne d’Arc n’ont pas été retenues pour leur appartenance à cet ordre qui existe depuis les débuts de la chrétienté. Alors que la mode romanesque est d’ouvrir la voie de l’étrange et du faux historique dans la droite lignée du « Da Vinci Code », ce roman présente des faits historiques véritables.
A travers ce polar féministe, saga verte de la société de l’information, j’ai essayé aussi en passant d’un siècle à l’autre de renouer avec le plaisir des mots propres à chaque époque. Le pastiche est parfois emprunté comme exercice de style pour rendre la joie goûteuse de personnalités émouvantes qui ont eu du bonheur à partager leur connaissance avec les autres.
C’est bien là l’essentiel, ces femmes et ces hommes ont vécu leur désir de transmettre du savoir aux autres, une sorte de sensualité au monde et à la terre, notre "jardin planétaire".

Sylvie Fayet-Scribe